Le projet

Séminaire inaugural : « Partager et co-construire en recherche participative : une enquête par les données »

En 2024, la plateforme MSH SUD CommonData qui, depuis 2017, analyse le statut juridique des données de la recherche selon le cycle de vie des données (collecte et acquisition, stockage et archivage, diffusion et partage, réutilisation et valorisation), lance la phase 2 de son programme de recherche, consacrée à la question de la gouvernance des données dans les projets de recherche participative.

Ce programme s’organisera autour d’un séminaire inaugural le 12 juin 2024, dans l’auditorium de la MSH SUD (Université Paul-Valéry Montpellier 3, site Saint Charles 2, Montpellier). A travers les regards croisés de quatre porteurs d’expertises variées, issus du monde de la recherche et du monde associatif, il s’agira de poser les bases du programme CommonData 2 en s’interrogeant collectivement sur les conditions de partage et de co-construction des savoirs, connaissances, informations et données dans les projets de recherche participative. Qu’est-ce qui distingue ce type de recherche au sein du système de recherche et d’innovation ? En quoi l’entrée par les données permet-elle de mieux caractériser la recherche participative, mais aussi ses acteurs et la valeur de leur collaboration ?

La recherche participative : contexte et enjeux

La recherche participative interroge la façon dont s’organise la construction des savoirs. Modalité de recherche déjà ancienne, elle tire ses origines de diverses traditions, dès avant l’académisation du champ scientifique avec la montée en puissance des sociétés savantes et des idéaux émancipateurs de l’éducation populaire aux XVIIIe-XIXe siècles, et jusqu’au dernier quart du XXe siècle avec la normalisation progressive de la participatory research. Depuis le tournant du XXIe siècle, elle s’affirme comme une pratique de recherche de plus en plus courante, en particulier en sciences de la vie et de l’environnement et en sciences humaines et sociales, au point que les institutions de recherche et la loi s’en sont désormais emparées.

La recherche participative se manifeste en effet aujourd’hui dans un contexte où le dialogue entre la science (et ceux qui la font) et les citoyens est encouragé par le législateur[1]. Cette volonté se traduit notamment par l’inscription des actions de recherche participative dans les critères d’évaluation des projets de recherche lors des demandes de financement – dont elles constituent parfois même l’objet (ex : AAP CO3 ou ANR « Science avec et pour la société ») – et jusque dans les feuilles de route de nombre d’organismes de recherche, universités et grandes écoles.

Au-delà, la recherche participative s’inscrit dans un mouvement social plus vaste, exprimant une volonté de participation des citoyens aux différents niveaux de décision publique[2]. Elle correspond également à l’expression d’une partie au moins du monde social souhaitant augmenter son niveau de connaissance par l’instauration d’un dialogue plus étroit avec les scientifiques, accompagné de pratiques d’observation ou d’expérimentation menées dans un cadre non académique. Elle se présente aussi souvent en réaction face aux logiques trop exclusivement descendantes, fondées sur certaines pratiques traditionnelles de vulgarisation scientifique. Ce faisant, elle implique la volonté de partager, avec les scientifiques professionnels, les savoirs développés dans le reste de la société : des savoirs éprouvés mais peu considérés dans l’ordre des connaissances produites dans les cadres institutionnels. Elle exprime enfin, dans les hypothèses les plus poussées, une volonté de participer plus directement aux orientations de la recherche scientifique, approchant de ce fait, sans se confondre toutefois avec elle, la question du traitement éthique de la recherche.

Le désir de « faire science ensemble » repose sur l’idée générale que le dialogue entre les professionnels de la science et le reste de la société peut être fécond. Il permettrait, entre autres, de relever certains défis sociaux, économiques et environnementaux que le modèle économique du capitalisme libéral prévalant depuis la première révolution industrielle ne semble plus être en mesure de relever. La recherche participative se structure en effet souvent autour d’organisations sociales innovantes, appartenant à ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler le « tiers-secteur de la recherche », et en particulier à la sphère de l’économie sociale et solidaire (coopératives). Ce tiers secteur interroge profondément la place des sciences en société, appelant à une plus grande co-construction des savoirs (se revendiquant souvent explicitement d’une approche par les communs) pour une meilleure actionnabilité de ces derniers au profit d’alternatives aux modèles établis, jusqu’à prendre des formes plus revendicatives, allant jusqu’à questionner la légitimité de la politique monopolistique de la recherche publique sur la production de connaissances scientifiques.

Enfin, en facilitant l’intermédiation et la mise en relation entre les participants, il est à noter que la révolution numérique a accentué le phénomène de l’engouement actuel pour la recherche participative, en particulier par la possibilité qu’elle offre désormais de développer l’échange des données à grande vitesse, de manière qualitative, entre différents acteurs. L’outil de communication en ligne — dont il faut rappeler qu’il s’est développé à l’origine pour mettre en réseau des chercheurs et donc échanger des informations d’ordre scientifique — se trouve ainsi désormais au cœur de nombreux dispositifs de recherche participative, tendant ainsi à horizontaliser les échanges d’informations entre notamment les citoyens, les associations et les « chercheurs professionnels », par exemple grâce à la conception de grandes infrastructures de données. Dès lors, le potentiel de la recherche participative à coproduire, sinon des savoirs, du moins, des données, s’avère important.


[1] Depuis l’adoption de la loi de programmation pour la recherche, dite « Loi Fioraso » de 2013 (L. 22 juill. 2013), qui résulte d’une volonté de faire de la science « pour » et « avec » la société, volonté réitérée par la Loi pour la programmation de la recherche de 2020 (art. 31).

[2] Comme en témoigne, en creux, la politique d’ouverture des données publiques, elle-même fruit d’une volonté de transparence de l’action publique.

 

Comprendre la recherche participative au prisme de la gouvernance des données

En conséquence, il apparaît intéressant, pour mieux comprendre la recherche participative, d’adopter une approche par l’étude des pratiques de coproduction des données acquises ou co-produites à l’occasion du développement de projets de recherche participative. L’équipe CommonDatra part en effet du postulat que la collecte et la production des données, ainsi que leur gestion, leur mise en partage, leur diffusion et leur valorisation, peuvent s’avérer des révélateurs des degrés et modes de participation des différents acteurs en regard, par exemple, des échelles de type « Échelle d’Arnstein » (1969). Ainsi, à travers les pratiques observables de production et de gestion des données dans les projets de recherche participative, sur le plan technique comme logistique, c’est toute la gouvernance de ces projets particuliers qui se trouve être concernée. La question devient alors la suivante : comment la gouvernance des données caractérise-t-elle les modalités de recherche participative ? Plus avant encore, les modalités de gouvernance des données, désormais considérées comme matière première de la recherche, contribuent-elles à définir ou à déterminer les actions/projets de recherche participative ?

Si ces questions se posent, c’est que la gouvernance des données de la recherche dite « institutionnelle », est aujourd’hui sinon résolue, du moins en passe de l’être, grâce aux principes énoncés à travers les politiques nationales et européenne de science ouverte et d’ouverture des données, objet du premier volet du programme CommonData (2017-2022)[1]. Dans le domaine des recherches participatives, en revanche, elles présentent un degré de difficulté supplémentaire du fait du croisement d’acteurs de différentes natures et à différents niveaux. Si la recherche est généralement menée en collaboration avec la catégorie des partenaires institutionnels dite « stable », les acteurs de la société civile appartiennent, quant à eux, à des catégories variées, non nécessairement professionnelles, souvent bénévoles, appartenant à des catégories sociales plus mouvantes (relevant du secteur associatif ou entrepreneurial au sens large, sociétés coopératives notamment).

Dans la recherche participative, le niveau d’intervention est lui-même assez différent selon les projets : lorsque la participation des citoyens se résume à l’acquisition ou la collecte de données fournies à des chercheurs qui, eux, ont posent les hypothèses, définissent les protocoles, et produisent les résultats de la recherche à partir de l’analyse de ces données, la recherche est certes participative, mais la société civile ne participe qu’à une seule étape du processus de recherche si l’on se réfère au cycle de vie des données tel que schématisé aujourd’hui. La réutilisation des données de la recherche par des acteurs de la société civile ne peut pas non plus, à elle seule, manifester un processus de recherche participative. À l’inverse, quel statut accorder aux données de recherche collectées, produites, analysées et valorisées, d’un bout à l’autre de la chaîne, dans un cadre non-académique, c’est-à-dire non plus seulement « pour » et « avec », mais « par » la société, dans le cadre par exemple d’un projet associant une coopérative privée de jeunes chercheur.e.s non statutaires à un collectif professionnel ou citoyen ?

La lecture d’un projet de recherche participative au prisme du cycle de vie des données peut ainsi s’avérer fructueuse pour déterminer les principes d’une gouvernance permettant un partage de la valeur équitable, en même temps que d’une méthode de recherche éthique qui permet d’éviter les risques d’instrumentalisation des données à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été collectées ou produites, voire les risques d’instrumentalisation, de dévalorisation ou de précarisation de la recherche publique elle-même, ou à l’inverse des acteurs du tiers secteur de la recherche qui y contribuent.


[1] Voir : https://www.mshsud.org/science-ouverte/common-data/ et l’ouvrage publié par A. Robin, porteuse du programme : Droit des données de la recherche, Science ouverte, innovation, données publiques, Larcier, 2022.

 

Les objectifs du programme de recherche CommonData 2

A travers un questionnement sur la gouvernance des données dans les projets de recherche participative, le programme « CommonData 2 : données & recherche participative » entend, selon une méthodologie propre, contribuer à :

1) observer et décrire, à travers des cas d’usage identifiés, la complexité intrinsèque des processus dits de « recherche participative », et s’appuyer sur la documentation produite dans le cadre de l’observation de ces nouveaux modes de participation à la recherche scientifique et des nouvelles structures participant à celle-ci ;

2) comparer le partage de la valeur (scientifique, économique, sociale, symbolique) qui résulte de la coproduction de données à celui qui prévaut dans les systèmes de valorisation de la recherche scientifique ;

3) concevoir, sur la base des observations faites sur partage de la valeur, une « échelle de la participation » exprimant les différents niveaux et degrés de participation, mais en regard des usages de répartition des données ;

4) proposer des règles de gouvernance spécifiques pour satisfaire des intérêts que l’on pourrait considérer comme légitimes mais non encore pris en compte par les institutions, et permettant un partage équitable de la valeur des données ;

5) éventuellement, concevoir des modèles contractuels de partage de la valeur notamment par la définition des usages des données acquises et produites par un processus donné de recherche participative.

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